racisme & fascisme

Le racisme et le fascisme sont deux concepts distincts, bien qu’ils puissent se croiser dans certains contextes historiques et idéologiques. Pour bien comprendre cette distinction, il est essentiel d’examiner la nature du corporatisme fasciste selon Mussolini et les caractéristiques du fascisme décrites par Umberto Eco, tout en précisant que le racisme ne se limite pas à une croyance en l’existence de races biologiques, mais qu’il est une organisation sociale et politique fondée sur une hiérarchie raciale, aussi bien biologique que culturelle.

1. Définition du racisme : une organisation hiérarchique et non une simple croyance Le racisme ne se limite pas à la simple croyance en l’existence de races biologiques distinctes.

Il est un système de pensée et un mode d’organisation sociale qui repose sur la hiérarchisation des groupes humains, en fonction de critères biologiques et culturels, et qui justifie la domination, l’exclusion ou l’exploitation de certains groupes par d’autres.

Le racisme biologique et le racisme culturel

  • Le racisme biologique, hérité des théories du XVIIIe et XIXe siècle, classe les populations en “races” supposées supérieures ou inférieures sur la base de critères physiques (couleur de peau, crâne, traits du visage). Ce type de racisme est celui des penseurs du colonialisme et de l’eugénisme, comme Arthur de Gobineau (Essai sur l’inégalité des races humaines, 1853) et Houston Stewart Chamberlain (Les Fondements du XIXe siècle, 1899), qui voyaient dans la “race aryenne” une supériorité naturelle.
  • Le racisme culturel, plus contemporain, ne se base pas sur des critères biologiques mais sur des distinctions culturelles essentialisées. Il postule que certaines cultures seraient “incompatibles”, “arriérées” ou “décadentes”, et justifie ainsi les discriminations et exclusions. Samuel Huntington, dans Le Choc des civilisations (1996), est l’un des penseurs

modernes de cette approche raciale camouflée sous le prisme culturel.

Frantz Fanon et la structure du racisme colonial

Dans Peau noire, masques blancs (1952) et Les Damnés de la terre (1961), Frantz Fanon démontre que le racisme n’est pas une simple idéologie, mais une structure sociale et politique héritée du colonialisme, qui enferme les peuples colonisés dans un statut de subalternes et intègre la hiérarchie raciale dans les institutions. Il explique comment le racisme ne se contente

pas de justifier la domination, mais produit activement des identités infériorisées et aliénées.

De même, Aimé Césaire, dans Discours sur le colonialisme (1950), montre que le racisme colonial est un instrument de pouvoir qui normalise la violence, l’exploitation et la déshumanisation, en appliquant aux peuples colonisés les mêmes méthodes que celles du fascisme en Europe. Il établit ainsi un continuum entre le colonialisme et le fascisme, une idée reprise par Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme (1951).Le racisme comme fondement du colonialisme et du capitalisme

Des penseurs comme W.E.B. Du Bois (The Souls of Black Folk, 1903) et Cedric J. Robinson (Black Marxism, 1983) analysent le racisme comme une structure économique et politique qui accompagne le développement du capitalisme moderne, notamment à travers l’esclavage et l’exploitation coloniale. Le racisme n’est pas seulement un ensemble de préjugés individuels, mais un mode d’organisation des rapports de production et de domination.

2. Définition du fascisme et le corporatisme d’État selon Mussolini Le fascisme est un système politique et idéologique caractérisé par :

  • Un pouvoir autoritaire et dictatorial qui rejette la démocratie et impose un État fort.
  • Un nationalisme exacerbé, souvent expansionniste.
  • Un culte du chef, qui incarne la nation et impose une obéissance totale.
  • Une suppression des opposants politiques par la répression et la violence.
  • Un rejet du pluralisme et des droits individuels, au profit d’un ordre imposé par l’État.

Mussolini a défini le fascisme en insistant sur sa fusion avec l’économie à travers le corporatisme. Il déclarait :

“Le fascisme devrait être plus exactement appelé corporatisme, car il est la fusion du pouvoir de l’État et du pouvoir des grandes entreprises.”

Le corporatisme fasciste se distingue du capitalisme libéral et du socialisme. Contrairement au capitalisme classique, qui prône un marché relativement indépendant de l’État, et au socialisme, qui vise une collectivisation des moyens de production, le fascisme impose une alliance entre l’État et les corporations (syndicats, entreprises, secteurs professionnels).

Dans l’Italie fasciste, cela signifiait que les entreprises n’étaient pas abolies, mais subordonnées à un État autoritaire qui dictait les grandes orientations économiques. Les syndicats indépendants étaient supprimés et remplacés par des corporations d’État, censées représenter à la fois les travailleurs et les employeurs sous la direction du gouvernement.

3. Le fascisme selon Umberto EcoL’écrivain et philosophe Umberto Eco a proposé une typologie du fascisme dans son essai “Ur-Fascism” (Le fascisme éternel), où il définit le fascisme comme une idéologie protéiforme qui peut se manifester sous différentes formes, mais qui repose sur des caractéristiques récurrentes.

Parmi elles, on trouve :

  1. Le culte de la tradition
  2. Le rejet du modernisme
  3. Le culte de l’action pour l’action
  4. Le désaccord est une trahison
  5. La peur de la différence
  6. L’appel aux classes moyennes frustrées
  7. L’obsession du complot
  8. Un nationalisme exacerbé
  9. Le mépris des faibles
  10. Le populisme sélectif
  11. L’usage d’une novlangue

Eco insiste sur le fait que le fascisme n’a pas besoin de toutes ces caractéristiques pour exister : quelques éléments suffisent à créer un climat autoritaire et réactionnaire.

4. Racisme et fascisme : des phénomènes distincts mais parfois liés

  • Le racisme existe sans fascisme : La ségrégation raciale aux États-Unis et l’apartheid en Afrique du Sud n’étaient pas des régimes fascistes, bien qu’ils reposaient sur une hiérarchie raciale.
  • Le fascisme existe sans racisme explicite : Le fascisme italien avant 1938 ne reposait pas initialement sur une politique raciale.
  • Le nazisme est un cas où les deux sont fusionnés : Hitler a intégré le racisme au cœur de son projet politique, en faisant de la supériorité aryenne et de l’extermination des races “inférieures” un fondement de son régime.

Le racisme est un mode d’organisation sociale qui justifie la hiérarchie et la domination par des arguments biologiques ou culturels. Le fascisme, quant à lui, est un système politique autoritaire et ultranationaliste, qui peut utiliser le racisme comme un de ses outils, mais qui n’en dépend pas nécessairement. En comprenant ces distinctions, on évite de réduire le racisme à une simple “idée” et on saisit mieux sa nature structurelle et politique, comme l’ont montré Fanon, Césaire et d’autres penseurs critiques du colonialisme et du capitalisme racial.